Des émotions.. et Le monde ne tourne pas rond.
Vous croyez qu'il aurait touché à l'alcool, le bougre ? Jamais. Alors pour quelles raisons il semblait aussi emeché qu'un nain. Peu importe pour le moment puisqu'il déambulait dans la venelle aux pavés, là où les clients ne se gênaient pas de reluquer avec ardeur et audace les jeunes femmes déjà pendues à eux. Ce lieu, il en avait connu bien des tas.. et dieu sait pourtant qu'il ne venait pas ici pour satisfaire un réel besoin de sexualité.. loin s'en faut. En souvenir de Kewil.. en souvenir de leurs unions, si éphémère soit-elle, il s'épenchait de nouveau sur le gout amer de la chair à peine rosée pour se frotter aux illusions du Passé.

Il se degourdissait les jambes en jalonnant la ruelle, le regard dans le vide comme en proie à un tourbillon de souvenirs, de méditations qui l'empêcheraient de se concentrer sur ce qui l'entourait. De toute façon, il savait pertinemment ce vers quoi il se dirigeait, et ce à quoi il devait s'attendre, raisons pour lesquelles il ne se pressait pas, et n'attendait rien d'autre.. que quelques caresses delicates, et pourquoi pas, un peu plus... une discussion intéressante. Il pourrait aussi, accessoirement, se renseigner sur l'état de ce village qu'il avait déjà connu sous le "règne" d'un tyran opportuniste et surtout, proxènéte. C'est alors qu'un souvenir, doux et cajolant, refit son apparition dans sa vie : celui de Nonj. Jeune demoiselle au passé trouble, celle-ci avait donné sa vie dans l'idée de sauver son honneur, celui de sa famille, et des autres femmes utilisées comme de la marchandise ou des instruments. Il aurait sincèrement aimé la revoir cette autre nuit où il s'illusionnait.. avec elle.

Il glissa une main dans la poche de sa longue chemise immaculée pour en sortir un paquet de clope, l'une d'entre elle déjà prête à quitter son antre. Il l'attrapa en la coincant entre les dents, et l'alluma par la suite avant d'aspirer sur la tige, le visage incliné vers le ciel. Les passants le frolèrent par intervalle régulier, toutes les quelques secondes. Lui resté là, debout, ancré, attendant qu'il puisse trouver de quoi le satisfaire pour la nuit. Sando n'était pas même rentrée, et son Ecuyer, à défaut de roupiller au vu de son indigestion, rangeait leurs affaires tout en cherchant une carte des environs à découvrir.Il était si .. valeureux et attaché à Munsu que rien ne l'en séparerait.

Sur ces petites pensées plus ou moins mélancoliques, il finit par pénétrer l'un des "sanctuaires" de femmes, là où les courtisanes s'occupaient à merveille de leur client. Ce ne fut que dans la pièce principale où il surprit un petit groupe de cinq femmes, plongées dans leur cancan, qu'il emit un bref sourire, tenu là, nonchalant et un poil paresseux, allure qui ne lui enlevait pas toutefois de sa superbe. Il lança -ou railla - simplement :

- C'est mignon comme endroit.
C'est alors que l'une d'entre elles decida de répondre avec beaucoup de sérieux :
- Que venez-vous faire ici ? Ce n'est pas un lieu auquel vous pensez, nous ne nous offrons pas.. !

- Oh.. vraiment ? Je croyais.
- .. Que cherchez-vous donc ..?
- .. Quelqu'un qui saura me supporter pour la nuit.

Il semblerait que sa vie soit condamnée à de maintes répétitions lugubres et ternes. Les mêmes pièces impersonnelles, décoré avec simplicité pour donner une illusion d'intimité que certaines personnes appréciaient. Cette même ruelle qu'elle regardait, qu'elle arpentait même en certaines occasions lorsque le 'travail' manquait. À la moindre baisse de régime, Tai les envoyait gambader tels des appâts ramenant de gros poissons. Jamais bien loin cependant, il ne voulait pas que quelque chose arrive à sa précieuse collection. Mais ce soir, tout semblait se dérouler comme il le souhaitait. C'est dans ces moments-là que Shun maudissait le plus son existence. Plus tôt, un homme parmi tant d'autres était venu pour s'octroyer un petit plaisir. Jusqu'à ce moment, la jeune femme avait réussi à se faire plutôt petite, les clients choisissant des demoiselles plus exotiques. Pendant un instant, elle se dit que cette soirée serait sans doute facile, jusqu'à ce qu'une grande main lui empoigne le bras, la redressant. Dans un sursaut face à ce soudain contact, elle redressa la tête, serrant les dents en voyant que c'était son bourreau qui la tenait, l'entraînant vers un homme qui semblait plutôt perdu parmi toutes ces créatures.

Tai était un homme d'affaires, tout le monde pouvait le voir. Ce que personne ne voudrait, il réussirait à le vendre tout de même. Et le voilà, jouant avec elle comme si c'était une poupée alors qu'il parlait au possible futur client. Il passait une main dans ses cheveux avant de redresser son visage, commentant celui-ci avec des termes flatteurs. Elle ne broncha pas lorsqu'il écarta légèrement ses jupes, montrant ses galbes à l'homme qui semblait plus que convaincu à présent, regardant celui-ci sans vraiment le voir. Elle ne pouvait pas réagir, elle devait tout simplement rester là et être belle. C'était comme cela dans ce métier, si on pouvait même appeler cela ainsi. Pinçant les lèvres, elle regarda les pièces s'échanger alors qu'on empoignait de nouveau son bras, l'entraînant dans l'une des pièces qu'elle connaissait que trop bien. Peu importe, elle essaierait de nouveau avec celui-ci. S'il y avait la moindre chance qu'elle puisse éviter ce qui allait se passer, elle la saisirait. Ah, se voir s'accrocher désespérément à ce faible espoir lui faisait pitié, mais c'était tout ce qu'elle avait maintenant.

Le reste ne mérite pas vraiment d'être raconté dans les moindres détails. Elle ne voulait même pas y penser. Elle avait un goût amer sur la langue, une boule dans l'estomac qui menaçait de sortir si elle ouvrait la bouche. Elle avait tenté de lui dire non. Lorsqu'il avait commencé à se dévêtir, ses mains vicieuses parcourant son corps chétif, elle l'avait touché. Uniquement cette fois et avait utilisé son don. Elle lui avait dit de ne plus poser ses mains sur elle et quelques autres conneries. Visiblement, cela n'avait pas fonctionné. Le revers de sa main avait heurté sa joue droite d'un coup sec, les décorations légèrement tranchantes de la chevalière qu'il portait blessant celle-ci. Elle put sentir un filet couler le long de sa peau. C'était chaud et froid en même temps, elle ne pouvait pas vraiment l'expliquer. Et la suite...Ce n'était pas la peine de s'y attarder. Ensuite, il partit, comme si rien ne s'était vraiment passé, comme toujours. Comme tous les autres. Ce n'est que lorsque l'un des hommes de main de Tai pénétra dans la pièce qu'elle releva la tête. Elle n'avait pas vraiment bougée. Elle avait fixé ses vêtements, rien de plus, histoire de garder un peu de dignité. Il vit la mince coupure sur sa joue et repartit aussitôt, son bourreau entrant dans les minutes qui suivirent.

Tai s'avança, ses doigts marquant sa peau alors qu'il saisissait son menton, regardant sa petite blessure avant de laisser s'échapper un juron. Et Shun retint un mince sourire qui menaça de s'échapper lorsqu'il tourna la tête un moment. Elle savait très bien qu'il détestait lorsque les clients se montraient violents envers les jouets. Il était plus difficile de les vendre ensuite. Le fait que cet homme devrait payer une compensation autant physique que monétaire apportait une satisfaction à la jeune femme. Elle le voyait déjà, se tenant les côtes, allongé sur le sol. Il la redressa, la tenant par la nuque alors qu'ils naviguaient dans la demeure. Bientôt, elle pu entendre les gloussements des autres femmes qui n'étaient pas occupées avec d'autres, parlant entre elles. Ceux-ci se terminèrent rapidement, remplacés par une discussion qui fut de plus en plus claire au fur et à mesure qu'ils approchaient de la grande pièce. Lorsqu'ils pénétrèrent dans celle-ci, elle sentit le patron s'arrêter et elle fit de même. Relevant légèrement les yeux, elle vit un homme se tenir un peu plus loin, comme s'il attendait quelque chose. Et alors que Tai lui aboyait dessus, lui demandant ce qu'il voulait, Shun tenta à nouveau de fixer ses vêtements, utilisant sa chevelure comme un voile pour cacher sa honte.

La jeune femme discutant avec Mun se retourna, allant aux côtés de Tai pour lui murmurer quelque chose dont Shun n'eu aucune difficulté à entendre. Elle sentit les doigts puissants quitter son coup, et un faible soupire de soulagement s'extirpa de ses lèvres. Une petite main vint masser sa nuque avec hésitation, mais lorsqu'elle redressa la tête, elle vit son patron se diriger vers l'autre homme, son attention retenue. L'autre jeune femme l'attira un moment hors de la pièce, l'aidant avec sa tenue en silence. Shun la remercia dans un murmure, le visage fixant le sol tandis que ses doigts se portaient sur sa coupure, cherchant la moindre trace de sang. Bien vite, trop vite, Tai était de nouveau à ses côtés, faisant signe à l'autre de déguerpir, ce qu'elle fit sans un mot. De nouveau, elle sentit la pression sur sa nuque et retourna avec lui. Ils étaient maintenant devant l'homme et l'homme que prononça Tai à ce moment lui fit rater un battement.

-C’est elle ou rien.

Ses yeux se braquèrent sur la silhouette à ses côtés, mais le regard qu'elle reçue l'empêcha de dire le moindre mot. Elle venait à peine de terminer, ne pouvait-elle pas avoir une petite pause ? Cherchait-il à se venger sur elle également ? Après tout, il connaissait Shun. Il savait très bien qu'elle pouvait se montrer peu coopérative en certaines occasions. Mais que pouvait-elle dire ? Rien. Elle ne pouvait que subir. Cependant, ce serait avec fierté. Les lèvres pincées, elle porta de nouveau son regard sur le client qui se tenait devant elle. Un grand homme brun, avec un air blasé, même ennuyé se tenait devant elle. Shun ne s'attarda pas plus, de toute façon, une fois son travail terminé, il disparaitrait, comme tous les autres. Ce n'était qu'un travail de plus. Il pouvait tout aussi bien refuser et se trouver un autre endroit pour satisfaire ses envies. Dans tous les cas, cela ne changerait rien pour elle.